texte d'Yvette BRISSET

Contribution de Madame Yvette  BRISSET

 

 

«  A Mailly le Château, la ruche bourdonne »

 

Arrivée à Mailly le Château en 1929, je découvris, inconsciemment, la variété des activités qu’on y pratiquait ; on y retrouvait alors tout pour vivre sur place.

Un jour, j’eus la vision fugitive d’une vieille dame ; …. « repasseuse », coiffée d’un bonnet ancien bordé de dentelle, tuyauté, de ceux recherchés aujourd’hui par des groupes folkloriques régionaux. On lui confiait les toilettes les plus délicates.

Dans la même rue du Jeu de Paume, mais sur l’autre trottoir, près de leur fenêtre, cousaient madame Roger –la mère de Robert Roger- et madame Millereau dont le mari était menuisier. Plus tard, madame Roger confectionna ma robe de mariage avec le tissu qu’alors on trouvait au sortir de la guerre ; madame Millereau fera celle du mariage de… notre fille ; elle cousait alors à nouveau après avoir exercé le métier de coiffeuse, plus lucratif, après la mort de son mari ; je me souviens de nos indéfrisables d’alors, qui devaient « durer »… le plus possible, par souci d’économie ! Evoquez les longs cheveux lisses et « flottants », les coiffures qui font « savamment » dépeignées, présentées dans les pubs de la télé d’aujourd’hui et revivez, les anciens, les « indéf » d’alors…plus qu’une autre mode, autre mentalité !

Il me semble avoir vu les très gros fers à repasser du tailleur pour homme, monsieur Guilloux qui habitait une maison sombre de la rue Comtesse Mahaut, maison qui me faisait penser aux boutiques du Moyen Age sur les livres d’histoire. Je le revois plus tard, fort âgé, boitant beaucoup, venant déposer son bulletin dans l’urne que des surveillants du vote descendaient pour lui au pied du majestueux escalier de notre mairie.

Qu’il était coquet, le pavillon bien éclairé, lui, d’Hélène Laforgue, couturière au Bourg du Bas ! Elle y confectionnait de si belles robes…mais aussi des tailleurs de dames ; ma mère, avec qui elle était amie, finit par céder à la tentation d’un « tailleur sur mesure », une exception. D’habitude, ma mère confectionnait et brodait nos chemises, tout le linge de corps, brodait aussi jetés de table, coussins et autres ornements en lin ; elle faisait nos robes, celles de sa mère et de sa tante, qui, elles, nous approvisionnaient en tricot. Pour ses filles, elle taillait une jupe dans un ancien pantalon (de costume) de mon père, faisait nos manteaux, ses « patrons » étalés sur la table de la cuisine. Sans salaire, les épouses d’alors, qu’elles soient cultivatrices ou femmes de fonctionnaires s’occupaient à d’autres tâches que celles, culinaires ou ménagères, d’une femme au foyer. Je revois la femme d’un percepteur fabriquant de jolis chapeaux ; elle fit profiter de ses dons de modiste les associations organisatrices des fêtes locales.

Mesdames Roger, Millereau, Laforgue ont eu un sort commun : toutes trois furent veuves, avec un jeune enfant à élever ; toutes trois, tard penchées sur une toilette, verront cet enfant réussir de bonnes études, devenir fonctionnaire (dans les postes, institutrice, professeur d’éducation physique)

Il y avait aussi des « couturières à domicile », encore après la guerre ; l’une habitait aux Champs Gras, l’autre, madame Durand, raconta un jour à ma mère : « …En journée dans les maisons bourgeoises, j’ai du autrefois coudre à la main tous les petits plis du devant ouvragé des chemises d’homme, taillées dans les rudes toiles de lin, voire de chanvre. Le point de piqûre, si facile à réaliser à la machine à coudre, était fort long et pénible à la main ; mais, si on avait osé utiliser la machine…il fallait le découdre ! et ne pas même se permettre de faire à l’avance des trous sans fil, à la machine. »…sans commentaire !

Dans les années 50, il y avait encore un forgeron dans la vieille rue d’Auxerre. Le cordonnier Nemo ne manquait pas de travail, réparant nos chaussures, doublant nos semelles d’un renfort en caoutchouc. Avant guerre, encore écolière, je chaussais l’hiver des chaussures montantes en cuir, à semelles de bois protégées par le fameux caoutchouc ; l’été, nous avions, les filles, des sandalettes en toile blanche ; et, pour assister à un mariage, par exemple, des souliers bas vernis avec une bride ; j’en ai vu encore dans les années 50.

Madame Nemo rénovait des matelas fatigués, matelas alors en laine et crin.

 

 Il me semble que mon père a, un jour, demandé un travail au serrurier, qui habitait sur la route de Mailly la Ville.

Monsieur Lajambe, le mari de l’institutrice, était fumiste (on dirait aujourd’hui : chauffagiste) et le mari de l’enseignante adjointe était maçon, ainsi que son père.

J’ai cité le forgeron à Mailly le Haut, cependant, au Bourg du Bas oeuvrait un maréchal ferrant, monsieur Charpin.

Le mari de la couturière Hélène Laforgue, charpentier, construisit avec son père, la grande roue à aubes qui montait l’eau de la rivière au Bourg du Haut, rivière sensible aux caprices du ciel qui l’alimentait plus ou moins (chaque soir, pour que la roue fonctionne,le père de « dédette » rectifiait le débit de l’eau).

            Auguste Bayard vous parlera de sa scierie, issue de son père (voir également l’article dans la rubrique patrimoine). Je dirai simplement que le bois arrivait, transporté par des chalands.

 

Quelques précisions et anecdotes concernant « l’usine » du Bourg du bas.

 

Avant les années trente, Y. Brisset rappelle la production d’électricité de l’usine qui pourvoyait l’usine, certes, mais aussi les habitants qui le demandaient. (voir patrimoine humain)

Ils n’étaient pas gourmands alors : certains cultivateurs l’achetaient « à l’ampoule », pour l’étable d’abord, ce qui était appréciable pour en mieux éclairer les recoins lors des soins aux bêtes.

Plus tard, je l’ai connue, cette usine devint une fabrication de brosses pour les meuniers et pour équiper les aspirateurs et ce…jusqu’à l’occupation par les allemands qui exigèrent la fabrication des brosses pour …les cuirs des chaussures ou guêtres de leurs soldats.

Au rez- de- chaussée, des hommes pour la plupart, façonnaient les brosses avec des machines-outils. Au premier étage, femmes et jeunes filles, surtout, les garnissaient. Mon oncle Alfred, depuis peu à Mailly le Château, s’y engagea comme magasinier. Il distribuait poils divers, fils de laiton, tondeuses, ciseaux. Cécile Chenouard, encore Cécile Hubert, y travailla de 1942 à 1945, me précise-t-elle. Elle me confie que si la tâche était délicate et demandait de l’attention, on blaguait bien, la dextérité aidant, dans l’atelier des femmes, ce qui leur faisait un peu oublier la dureté de ce temps d’occupation. Un jour, elle fit une erreur sur la longueur des poils de brosse ; elle prévint aussitôt le directeur, M. Bastide, qui lui dit « ne vous tracassez pas, c’est bien assez bon pour les boches ! »

Cette usine donnait du travail à bien des jeunes du pays. En 1948, la fabrication des brosses, comme celles d’avant-guerre,  continuait lorsque, en février, le feu prit probablement dans la salle où étaient entreposés les vernis (voir patrimoine humain). L’extension en fut très rapide, les ouvrières eurent juste le temps de descendre , la plupart sans avoir pris leur manteau, mais on aida mademoiselle Deboulogne, handicapée, à sortir ! Ensuite, M. Bastide organisa la continuité de cette activité, au Bourg du Bas, dans un petit local près de chez Léa Brot ; l’oncle y stocka du matériel et les ouvrières confectionnèrent encore des brosses… à domicile ; mais cette production s’éteignit assez vite !

 

 

Or, dans les années 30, mon père, secrétaire de mairie, procéda à un recensement de la population, ce qui lui donna l’occasion d’entrer dans l’habitation de mariniers ; il nous en parla, enthousiasmé : « quelle chaude ambiance dans ces petites pièces aux murs et parquets cirés, reluisants et d’une propreté méticuleuse ! »

 

            Remontons au Bourg du Haut saluer d’autres artisans. Je n’ai pas connu le travail du menuisier Debretagne installé boulevard du Nord, mais j’ai vu dans la menuiserie de M. Millereau- reprise par M. Rouillé- des buffets et autres meubles destinés à accompagner la vie des clients et…vu des cercueils pour les mêmes, plus tard.

            Dans la famille Perreau, on était charpentier-couvreur de père en fils.

            Sur la place, le charron Albert Fermier soignait se roues de charrettes. Son voisin, Lucien Boisanté, faisait office d’appariteur : entre autres tâches,cet homme à l’allure martiale et à la voix claironnante, annonçait, après de vigoureux coups de tambour, l’arrivée d’un déballage- vêtements,chaussures ou quincaillerie- voire un spectacle produit par un petit cirque, la venue du rémouleur(que j’ai vu parfois œuvrer sur la place -voir plus loin-) et une foule d’autres indications : par exemple « à  partir de tel jour seront enregistrées les déclarations de récolte(blé ou vin) à la mairie. Il fallait tambouriner à chaque carrefour. Raymond Moreau, dit « sabotier »lui succéda, puis Max Brot qui dut se retenir plus d’une fois pour ne pas ajouter de fausses nouvelles à cette occasion (son humour était connu) ; Dominique Borgès fut le dernier annonceur public…Maintenant, pensons à lire les différents panneaux d’affichage.

            J’ai cité Raymond « sabotier », son surnom du à son métier. Pendant la guerre, mon père lui a commandé une paire de sabots pour ma sœur, mais déjà il complétait cette activité déclinante avec la culture de quelques champs.

            Autre atelier pour un autre habitant de la place St Adrien, celui de platrier-peintre :M. Just. Là encore, ses deux fils reprendront le flambeau : Marc à Mailly le Château et l’aîné, Gilbert dont les dessins et peintures ornaient notre classe restaurera des peintures dans des châteaux ou des palais.

            Pour fortifier les bras de ces artisans, des cultivateurs, nourrir sur place les maillycastellois, on ne manquait pas de commerçants.

            Deux boulangers qui proposaient des pains et des baguettes, mais aussi des couronnes et quelques sortes de gâteaux dont les fameuses « allumettes » qui s’effritaient tant. Quand l’un d’eux cessa son activité, Dédée, si accueillante et si…bavarde (mais quel plaisir d’écouter cette conteuse de talent) installa sa petite épicerie dans le local libéré.

Les boulangers faisaient des tournées dans les environs de même que les deux bouchers qui

livraient au bourg du bas et abattaient eux-mêmes leurs bêtes.

            Deux épiceries (en plus  de Dédée) aussi : la coopérative, locale d’abord, devint succursale des Coopérateurs de Champagne et la maison Ferlet-Bonnet qui vendait aussi des articles de quincaillerie et de droguerie (que je n’ai pas connu)et se contenta du commerce de l’épicerie lorsqu’elle devint « Docks de L’Yonne ». Dans ces deux maisons, on fidélisait les clients avec des timbres qu’on collait sur de grandes feuilles, ce qui permettait d’obtenir des cadeaux en prime.

            Au café Renaud ou règnent aujourd’hui Pascal et Chantal, on était servi par Carmen, très aimable, son mari faisant souvent « le figaro » pour les hommes dans l’arrière-boutique.

            Le café Grillon était prisé des amateurs de calme qui y tapaient tranquillement la belote du dimanche soir ; et madame Grillon servait de la bonne cuisine aux hôtes de passage. A un âge avancé,son mari était encore doté d’une abondante chevelure noire due, disait-il, au fait que ses cheveux n’avaient poussé qu’à l’âge de 5 ans. Ce « Samson » était donc un homme costaud qui, autrefois, avec son cheval, avait transporté les lourds colis venant de la gare de Mailly la Ville. Quand il devint conducteur de taxi, le concurrent du café Renaud en fit autant.

            Face au café Renaud, le grand hôtel de la Terrasse, tenu par les dames Soirat. L’une d’elle donnait des leçons de piano.( d’ailleurs, dans cette famille, on était musicien ,à Mailly le Château, de  père en fils, d’oncle en neveu etc. voir la « Fraternelle ».)Ces hôtesses âgées, trottant menu, souriantes, cadraient bien avec l’aspect suranné qui flottait dans  les grandes salles de l’hôtel où elles se mouvaient.

            Au Bourg du Bas, par contre, madame Charpin, forte femme, vous accueillait gaiement dans son café-restaurant. Elle accommodait à merveille les oies, servant souvent des « abonnés », célibataires, qui y prenaient leur repas de midi, hébergeant parfois des voyageurs. Quant à ses doses de pernod ou de sirop, elles étaient très généreuses.

            Il y avait aussi l’hôtel de la Rivière, dont la cour donnait sur l’Yonne. Des inscriptions sur d’anciennes maisons, des cartes postales des années1900 signalent d’autres commerces au Bourg du Bas.

            Pour les plus gourmands cependant, passait parfois un marchand de Vermenton qui tentait le chaland avec la variété de ses fromages : beaux gruyères, st florentin, plusieurs sortes de camembert et de beurre qu’on ne trouvait pas dans nos épiceries. Par contre, je n’ai pas souvenir du passage d’un poissonnier à cette époque ; il est vrai que bien des hommes se faisaient « pêcheurs amateurs » en rivière (brochets, perches, poissons blancs) ou dans le canal. Certains, plus aisés, possédaient des lots de pêche réservés dans la fausse rivière. D’autres maillycastellois souvent cultivateurs, préféraient chasser (le gibier ne manquait pas alors). Certains chasseurs possédaient un furet. Cet animal chouchouté entrait dans un trou du terrier et les lapins en sortait par d’autres trous ; là, intervenait le chasseur. Les réunions de chasse avaient lieu à la mairie, au dessus de notre logement et se tenaient le soir. Il est di que le bruit « monte », mais les discussions étaient si animées qu’il descendait aussi, empêchant les parents de dormir !

            Ainsi, au village, étions-nous diversement et bien ravitaillés chez les commerçants et avec les produits de la ferme, même si ces derniers avaient tendance à être un peu plus cher dès l’arrivée des « parisiens », souvent enfants du pays, à Pâques et en été.

            Pour payer ces achats comme pour économiser, pas besoin de se rendre dans une banque de la ville, car une succursale de la  caisse d’épargne occupait une partie du bâtiment communal, au fond du vaste hall de notre belle mairie. Elle était tenue par M. Blondat Elie, un ancien maire. Même les enfants qui décrochaient  fameux certificat d’études pouvaient ouvrir un livret, récompense assez courante des parents. Le percepteur, lui, essayait de placer ses bons du Trésor. (à suivre à la rubrique patrimoine)

           

 

Quelques souvenirs d’Yvette Brisset (suite)

 

 

 

« De l’eau courante à la toilette et : demande étrange pendant l’occupation en 1940/41 »

 

Ma mère, d’origine citadine, fit bientôt l’acquisition d’un « tub » ( ce mot, d’origine anglaise désignait une vaste cuvette en zinc permettant ce qu’onc appelle « un bain debout ». Elle servait de réceptacle à un bain de douche… sans douche. Après la toilette dominicale, il s’égouttait, suspendu sous la cloche de l’école, au dessus d’une grille.

De l’été 1940 à juin 1941, les allemands, en groupes successifs, occupèrent Mailly le Château. Un jour, l’un d’eux vint trouver mon père dans la cour et lui demanda l’ustensile…pour faire : « ja,ja, une grande omelette ! » Mon père qui avait appris l’allemand le comprenait et pouvait le parler fort bien, se gardait alors de le faire savoir à l’occupant. Il le laissa d’abord patauger dans ses explications, le temps peut-être aussi pour digérer son écoeurement, puis, avec des exclamations : « nichts, nichts gut, (rien de bon)… danger…poison…malade…(dit la main se frottant l’estomac ), il dissuada le quémandeur. J’ai dit « écoeurement » de mon père car alors, nos omelettes (quand nous pouvions avoir des œufs) se composaient généralement de… deux œufs pour quatre, alors qu’ « eux »  en avaient ; tant qu’ils voulaient !

Le mot « écoeurement » peut traduire aussi le sentiment de Maillycastellois témoins d’un triste spectacle au début de « l’occupation » quand ils ont vu stationner sur la place, un camion chargé de ...fusils de chasse qui avaient, sur ordre, été déposés dans les mairies de villages voisins.    Il y eut un autre camion de ramassage d’ustensiles en cuivre, dont de belles bassines à confiture ! Mon père avait remarqué que des hommes, en passant se détournaient vite, les larmes aux yeux ! Notre voisin, le cordonnier Nemo -le père de Robert- nous a confié : « j’ai bien huilé et enveloppé le mien( fusil) et l’ai enterré dans un merger »..Il ne fut pas le seul à désobéir ainsi.

Une amie, madame Lepeltier, dut à cette époque loger dans sa grande maison trois chefs allemands - par ailleurs assez courtois- qui pouvaient à loisir contempler dans le buffet de la salle à manger de belles tasses et autres pièces à vaisselle à l’effigie de…la reine d’Angleterre ; son mari, chef pâtissier à l’ambassade de Belgique à Londres, était alors seul là-bas sous les bombardements de la Luftwaffe !

Madame Lepeltier avait chez elle deux magnifiques fusils de chasse aux fauves en Afrique, avec crosses incrustées d’argent et de nacre. Malgré sa peine, elle se résolut d’abord à les déposer à la mairie ; mais quel « crève-cœur »… Pour ma mère aussi, native de la marne où sa famille avait grandement souffert des guerres de 1870 et 1914 et qui était alors sans nouvelles de ma sœur et moi parties en exode et confiées justement à des cousins de la marne. Ces deux femmes, Germaine Lepeltier et ma mère, parlèrent des deux fusils et bientôt leur propriétaire pensa avoir trouvé une « solution » ; ma mère lui rapporta les deux fusils, cachés…du mieux possibles sous le grand imper qu’elle avait revêtu ; et là, je laisse la parole à Jacqueline, la fille aînée de Mme Lepeltier :

  «  Ma mère avait trouvé une cache. Au grenier, il y avait dans un petit débarras l’emplacement des poutres sur lesquelles elle dut se mettre à cheval pour « jeter » les fusils le long d’un mur dans une petite chambre. Heureusement, les allemands n’ont pas imaginé qu’au dessus de… leur tête, pendaient  alors les jambes d’une française qui faisait son possible pour les tromper. Ma mère fut très courageuse et fière d’avoir réussi »

Chez nous, ma mère qui  avait tenu à rapporter elle-même ces deux fusils se hâta d’en remettre quelques autres, dont celui de notre ancien facteur, Narcisse Perreau, lui aussi habitant la « route de Trucy ».

 

Autres contraintes et incidents dans Mailly occupé.

 

Dès juillet 1940, la commandantur s’installa dans la belle maison bourgeoise « Camelin-Bez »(plus tard saccagée par d’autres occupants). Son chef décrèta que les maires  de Mailly, Fontenay et Fouronnes  devaient  prendre des ordres à la commandantur.

Les maires des communes voisines obéirent ;  le nôtre, âgé certes, mais aussi peureux qu’autoritaire décida que le secrétaire de mairie - en l’occurrence mon père- le remplacerait.

Vint le 1er octobre, rentrée des classes. Il fallut que mon père quitte sa classe à 11 heures – les élèves avec un travail écrit à faire- ma mère les surveillant et les accompagnant à la sortie de classe à midi. « Nous étions sages » me dit ma sœur, écolière à cette époque. Mon père rentrait au mieux à midi, en nage, enlevait son col amidonné, trempé et mangeait rapidement : la mairie puis l’école à 14h l’attendaient !

            Grosse frayeur un jour ! Notre voisine, madeleine Perreau, tenait le café tranquille hérité de son père, Monsieur Grillon. Le chef d’un nouveau groupe d’occupants ordonna la fermeture du « café » parcequ’il trouva à Madeleine … «  un profil  juif ». Pour nous, elle avait une belle chevelure brune, un beau grand visage, un air sérieux et réservé. Qu’est- ce qui avait pu déplaire à ce commandant ?

Cependant, les soldats venaient en douce acheter un litre de vin à l’entrée de la cave. Un midi, mes parents et ma sœur déjeunaient quand Madeleine accourut : « Je suis très inqiète, je ne trouve plus le litre d’alcool à brûler – dénaturé et rosi- dans ma cave ; des soldats sont venus acheter du vin… peut-être qu’ils l’ont emporté ? » Ma sœur raconte : « mon père arracha sa serviette accrochée à son col, amidonné et se précipita à la commandantur(qui occupait alors la maison Goulard, l’actuel Castel). Pendant qu’il s’expliquait avec l’interprète, on entendit un bruit d’explosion  côté cuisine : les soldats avaient voulu se faire un  vin chaud… C’était ce qui restait de l’alcool de Madeleine. Qu’elle fut leur punition ?      

 

 

 

 

Contribution d’Yvette BRISSET (suite)

 

Terminant ce survol des activités artisanales de notre Mailly des années 30, je pris conscience  de la variété plus encore que du nombre d’artisans ; cependant, de tous les actifs, les agriculteurs formait le groupe le plus nombreux ;  et ce d’autant plus si l’on considère le fait que dans une même famille, la mère participait aux travaux : élevage de volailles, soins aux animaux, traite des vaches et utilisation de leur lait ; mais aussi aux travaux champêtre d’été et d’automne : fanage, vendanges, arrachage des « betteraves à vache »(je revois le coupe-racine qui les minçait dans l’étable des parents de Max Brot). Quant aux enfants, ils n’étaient pas seulement « petits cueilleurs barbouillés » lors des vendanges, mais ils aidaient les parents de bien des façons…Le plus important-me semble-il-  étant d’aller, dès les premiers beaux jours « en champ des vaches », comme on disait alors. Toute gamine, ma sœur Linette qui aimait tant les animaux – elle n’a pas changé- allait parfois avec Jackie Brot les garder et ils se régalaient alors de quelques pommes de terre cuites sous la cendre. La France d’alors, pays resté d’une forte activité agricole, dotait alors les écoliers de trois mois de « grande vacances »...les autres étant rares : Noël, Pâques, très peu à la Toussaint ; pour le repos intellectuel, ce n’était pas le mieux, mais jeudis et dimanches ils pouvaient s’amuser au « grand air ».

…Mais revenons à nos moutons… Tiens, au fait, il y en avait des moutons, j’en ai vu à la ferme de Laroche. Cependant, nos agriculteurs étaient davantage cultivateurs qu’éleveurs et leurs fermes  nombreuses au bourg. Nichées au cœur du village, avec cours intérieures ou donnant sur la rue, vivaient, travaillaient les familles Boudin – Gaston et Clément- ce dernier, bon vigneron aimant la blague – Brot, Millot, Boisanté Lucien, Soirat et Delastre – Delastre dont on disait qu’il lisait Zola derrière sa charrue- En tout cas, fréquentait-il assidûment la bibliothèque populaire tenue par mon père. Des deux frères Blondat, l’un était « marchand de bestiaux », métier qu’exerçait déjà son père d’après l’extrait de l’annuaire de l’Yonne de l’année 1902 (annuaire où l’on nomme chaque habitant actif des communes de l’Yonne, avec sa fonction)

La ferme Dartois, elle, possédait une très grande cour.

A l’entrée du boulevard du Nord, la ferme Moiron.( je me souviens de l’air de quasi dévotion de mon père lorsqu’il en rapporta une «  gourmandise »qu’on ne s’était jamais offerte : un litre d’huile de noix !

Au faubourg des Bordes, la ferme des Charrier, celle de Gabriel Sauvajot, principalement vigneron, celle de Laloi dont l’ouvrier agricole Poulain soigna le dernier cheval de labour de Mailly le Château ; celle de Raymond Sestre qui nous quitta pour la Puisaye ; il nous fournit un complément de lait pendant la guerre, mon père étant son « conscrit »et cela nous valu d’entrevoir son « précieux » furet !

Avant guerre, notre laitière était remplie tous les jours sans problème ; pendant l’occupation, certains refusèrent et  ce fut plus difficile…Fort heureusement, Gaston Boudin, père de Daniel, sollicité n’hésita pas : «  venez en prendre chez nous ». Je me souviens d’un de ces sous-produits d’alors, la crème de lait bouillie avec laquelle on fabriquait de petits gâteaux…avec cette « peau » dont je ne voulais pas… avant ! Nos œufs, nous les achetions dans les fermes ; leur prix montait un peu, mais régulièrement à l’arrivée des « parisiens », la plupart alors anciens maillycastellois, à Pâques et lors de leur séjour estival.

Avant de descendre chercher mes souvenirs au Bourg du Bas, passons par le quartier de la Chapelle avec les fermes Rémi Bordat et Baudoin, cette dernière encore en activité, ce qui est rare car les quelques descendants de nos cultivateurs d’alors qui ont repris le flambeau ont habité ou habitent plus à l’aise sur de grands terrains. La ferme Paris, par contre, n’est déserte que depuis peu ; elle ouvre sur une des routes menant au cimetière. J’’empruntais parfois ce trajet lorsque ma mère m’envoyait renouveler le bouquet de grandes marguerites du jardin sur la tombe de mon petit frère Yves décédé à deux ans et demi ( c’était assez rare, elle-même préférant s’y recueillir). Passant devant la maison Paris (les parents de Pierre), je fus brusquement saluée sans aménité… par la troupe des oies de la ferme, jars en tête, bien sûr ; sentant mes mollets visés se ramollir, je battis promptement en retraite, laissant au sol le porte-monnaie noir familial à utiliser pour quelque commission au retour. Je ne me souviens plus qui d’entre nous le récupéra.

A propos d’oies- donc d’élevage- certains d’entre vous, mes compatriotes, connaissent ces cartes postales dont on suspecte qu’elles datent du début du 20ème siècle (1905-1915 ?) ; or, sur l’une d’elles, on voit un beau troupeau d’oies se pavanant près de la chapelle St Nicolas, dans une « rue » qu’on n’oserait aujourd’hui qualifier ainsi ; des enfants y figurent, ainsi qu’un cycliste, à l’arrêt, avec son canotier comme coiffure estivale.

Puisque nous arrivons- ouf, allez vous dire- au Bourg du Bas, remémorons-nous les fermes des deux frères Boyer, l’une au pied du raidillon, l’autre à la sortie « Coulanges » du Bourg et celle de Denise Millot, tante de Camille, au dessus de l’Yonne.

 

A suivre

 

Contribution d’Yvette BRISSET ( suite)

 

…Au hameau du Maupertuis, je goûtais mon premier pain bis, fait maison. Dans ces hameaux, que me semblaient vastes alors ces bâtiments agricoles ainsi que les champs y attenant ! La ferme de Malassise est entourée de bois ; j’ai davantage connu les élèves de mon père que leurs parents exploitant ce domaine. Chaque hameau de Mailly le Château est doté d’un nom suggestif : Malassise donc ; Malvoisine (qui à une courte époque d’avant-guerre sembla mériter son nom) ; les Champs gras si bien nommés, le Maupertuis avec sans doute à ses pieds un courant violent de l’Yonne avant la construction du barrage du grand moulin ? . Seul, le nom de Laroche, ferme isolée ne m’évoque rien. J’ai bien connu les fermes Pâquette et Delasselle au Champs gras.

Les enfants de ces hameaux venaient à pied à l’école, ainsi que ceux de bûcherons que je côtoyais dans la classe de garçons de mon père , ainsi que mes copains du bourg : Max, Daniel, André Baudoin. J’allais, avant guerre donc, chercher notre lait quotidien chez Max, déjà pince sans rire ; ainsi le vis-je tenir ostensiblement dans ses mains du « pain de noix », résidu de l’huile, encore une ressource agricole ! Je désirais fort y goûter ; « alors, prends le moi », me disait-il, assis devant la longue table de bois de la cuisine, l’étau de ses doigts refermé sur l’objet de ma convoitise. Je finis par en obtenir un peu, par deux fois ; mais alors, n’en eut plus envie…ça ne valait pas le carré de chocolat du quatre heures !

Daniel était fils unique et bon élève ; mon père suggéra à ses parents – il le fit aussi pour d’autres – de lui faire fréquenter l’école agricole de La Brosse ; «  alors, je me sauverai ! »

 s’ exclama - t’il  farouchement. Nous étions ainsi alors, poulains échappés épris de liberté !

Quant à Dédé Baudoin, il m’avoua, il n’y a pas si longtemps, que, lorsque nous jouions aux billes, ses copains et lui me refilaient, quand il perdaient, de ternes billes en terre, qu’ils « façonnaient » eux-mêmes, gardant les miennes qu’ils gagnaient et qui roulaient mieux, sortant de chez le marchand.

A Malvoisine, oeuvraient alors - pendant mon enfance- de petits fermiers : les Rassat, puis Lejeune et Hubert pendant la guerre ; face à eux, s’étendait la grande cour de ferme des Matésiak, des « expatriés russes blancs », disait-on à cette époque. Madame Rassat nous loua-ou prêta- un petit lopin de terre pendant la guerre pour complément de jardin ; en aoû 44, j’allai plusieurs fois y redresser des rames de haricots abattues par l’orage…Il y en eut beaucoup, d’orages, cet été là ; ainsi la nuit du 15 août, la foudre tomba-t-elle en trois places au Bourg du Haut ; c’était le jour même où l’armée du général De Lattre de Tassigny débarqua à Anthéor sur la côte de l’Esterel. C’était aussi le mois de la « libération » pour l’Yonne et on se demandait parfois qui tonnait, de l’orage ou des bombes aériennes. Les nouvelles locales ne nous parvenant guère, jean Chenouard et jean Nemo en captaient scrupuleusement en les dactylographiant, puis les affichaient à la porte de la mairie.

 

Que cultivait-on à Mailly ? Du blé, d’abord ; mais l’avoine pour les chevaux de trait - culture aujourd’hui quasi disparue... avec ceux qu’elle nourrissait ; de l’orge, de la moutarde, des betteraves pour les vache , des légumes en plein champ, pommes de terre principalement. Pendant la guerre, on vit les premiers champs d’oeillette et même de tournesol ; le colza les avait précédés ; pendant la guerre, nous découvrîmes pour nous l’utilité du seigle ! Nous l’achetions au producteur, après torréfaction nous obtenions un « ersatz » de café qui nous revenait, selon ma mère, très cher.  Pas de maïs alors, cultivé plus au sud et souvent le long des canaux et rivières ( Saône et Garonne) car gourmands en eau. Etaient-on alors plus sages que maintenant ?

Mailly fut jadis nommé «  le vineux » ; après la terrible épidémie de phylloxera qui ravagea la contrée, des vignes furent replantées…sans succès. Apparurent alors les plants directs peu appréciés ; d’autres, mieux prisés, revinrent enfin dans notre « gamay ». Cependant, la crise avait frappé, détruit des emplois ; ainsi n’ai-je vu qu’un tonnelier dans mon enfance ; des vignerons dont les bâtiments étaient exigus pour engranger les céréales partirent travailler aux environs de Paris, à Montreuil sous Bois principalement, souvent comme maraîchers ; ainsi M. Dufour qui, revenu à la retraite à Mailly, tailla, soigna de bons poiriers de notre jardin qui demandaient plus de savoir-faire que les pommiers de reinette en espalier entretenus par mon père. Quant aux mirabelles parfumées, leur terre d’élection a toujours été « les Champs Gras ».

Notre voisin Némo cordonnier, un facteur, d’autres habitants soignaient aussi une vigne ; Jean Némo m’emmena un jour goûter dans la leur l’une de ces fameuses « pêche de vigne » qui restent pour moi un délice. En dehors des traditionnels vergers de pommiers, fournisseurs de pommes à cidre le plus souvent, des noyers qu’on trouvait même parfois isolés en plein champ. « Attention…encas d’orage,  ne vous mettez pas sous un noyer », disait-on alors.

Des cerisiers aussi, cultivés ; mais chacun pouvait goûter aussi des cerises aigres, produites avec parcimonie par quelques chétifs arbustes et qui ont  presque disparu depuis de nos friches.

Et le cheptel ? Souvent, les deux chevaux de labour voisinant avec quelques vaches à l’étable Celles-ci, allant au pacage ou en revenant, venaient boire en troupeau dans les mares des deux faubourgs -la Chapelle et les Bordes -. Par rude hiver, nous glissions parfois sur ces mares gelées, aujourd’hui converties en jolis espaces verts.

La profession se transmettait du père à des fils ; ainsi à Gaston Dartois succéda Michel, son second fils, puis à leur tour les deux garçons de celui-ci, seule exploitation actuellement à élever un troupeau de laitières. Quant à la fille aînée, Geneviève, elle épousa Daniel Boudin et l’on vit ainsi, plus tard, la première stabulation à Mailly le Château ; là encore, le fils a « repris le flambeau » dans les champs remembrés.

De même au Maupertuis, la fille de la ferme Chabot fut reprise par son mari Michel Godefroy et deux de ses fils lui succèdent. De même encore, Camille Millot, fils de cultivateur laisse les rênes à sa fille et son gendre. Mais tous ces enfants ou petits-enfants, s’ils ont repris le flambeau, l’ont fait différemment, cultivant des domaines plus étendus, ce qu’a d’ailleurs facilité le remembrement. Ils habitent de belles maisons modernes, disposent de grands bâtiments. Leur profession dépend plus qu’alors du marché mondial.

Si certaines friches caillouteuses sont devenues champs bien cultivés, d’autres terres sont aujourd’hui « terrains bâtis ».

Autrefois, la ferme de Laroche était la propriété de la riche famille Prudot, celle de Malassis de la famille Camelin du boulevard du Nord ; aucun fermier ne les habite actuellement.

Quant  aux grands espaces cultivés de Malvoisine et des Champs Gras, ils appartiennent à une « société »…

Et nous, consommateurs de Mailly, n’allons plus faire remplir notre laitière dans la cuisine de la ferme ni dans la stabulation…achetant lait en bouteille et œufs… dans les épiceries ou grandes surfaces.

 

 

 

La vie quotidienne à Mailly  le Château à partir des années trente (suite de la contribution d’Yvette Brisset).

 

D’autres professions, que je vais tenter d’évoquer, pouvaient permettre aux maillycastellois, me semble-t-il de vivre en quasi autarcie ;

Petit exemple : avait-on des affaires de famille, des achats et vente à régler ? Il n’était alors pas nécessaire d’aller à  un chef-lieu de canton, voire en ville : un notaire officiait à Mailly. L’annuaire de l’Yonne de 1902 cite déjà un certain M.Pinon. Dans les années que j’évoque

 ( 1930/1950) il y eut un M. Gilet, apparenté Coudron et un autre que je n’ai pas connu.

Pour se faire soigner…sur place ? Les médecins. l’annuaire de 1902 cite « M.Klein, docteur-médecin ». Le couple Koechlin exerça longtemps à Mailly ; en 1923, madame Koechlin me « mit au  monde » à la maison d’école de Trucy. Mes parents les aimaient beaucoup et se réjouirent de les retrouver à notre arrivée à Mailly le Château en 1930... Las, c’est alors qu’ils partirent exercer à Troyes dont ils ne revinrent que passagèrement, au plus dur des années de guerre. Ce couple était connu pour sa bonté. Gamine, j’ai ainsi entendu dire à mes parents qu’ils avaient acheté une – nécessaire - ceinture de grossesse à une personne qui ne pouvait se la payer ! Le docteur était le frère de madame Chenouard, la mère de Jean, infirmière avant son mariage. Un docteur exerça un peu de temps, avant guerre, à Mailly. Quand il partit, comme il n’y en avait plus à Mailly la Ville, une curieuse et efficace organisation permit cependant aux malades de ne pas se déplacer. Deux docteurs venaient en alternance les visiter sur place. Le lundi et le jeudi (si mes souvenirs sont exacts) c’était celui de Cravant ; mon père avait auparavant disposé un cahier ouvert sur une table dans le grand vestibule de la mairie sur lequel les demandeurs s’y inscrivaient. Le cahier consulté et rangé, il sortait « celui » du docteur Beysserias de Châtel pour le mardi et le vendredi !

Au mois de janvier 1933, le docteur Beysserias eut une dizaine de grands malades à soigner sur place ; ainsi, quittant le chevet d’un homme âgé atteint d’une congestion pulmonaire, venait-il chez nous, pour une visite quotidienne de soins à ma sœur, alors âgée de trois mois, atteinte d’une bronchopneumonie. Un soir, ma mère le voyant épuisé par son travail, lui proposa un « verre de rhum » pour le doper jusqu’à son retour à Châtel ; si je m’en sou viens, c’est qu’ensuite mes parents s’inquiétèrent : la « dose » était-elle trop forte ?

Ce n’est que vers les années 45-50 que s’installa le jeune docteur Loess , habitant la maison Coudron, alors inoccupée par la famille. Puis vint le docteur Kreschnar, le docteur Roux qui partit pour Mailly la Ville… Alors, plus de médecin sur place jusqu’à la venue de notre dévoué Pierre Jeannin, qui est resté fidèle à Mailly le Château.

Sans doute à cette époque des années trente, consultait-on moins volontiers un docteur que maintenant ; mais les hivers d’alors étaient plus rudes et plus longtemps froids que ceux d’aujourd’hui, avec si peu de chauffage dans les maisons- la seule cuisinière à bois- les maladies pulmonaires étaient plus fréquentes et … on ne connaissait pas les « antibiotiques ».

 

Avant de clore ce chapitre sur « la médecine », parlons un peu de ces poêles qui nous côtoyaient.

Rares et peu utilisés étaient les petits poêles  à bois de l’époque avec à leur porte des plaquettes de mica. Certaines familles avaient hérité  de leurs anciens la grande et belle bassinoire en cuivre avec laquelle on ré chauffait- on bassinait justement- le lit. A la maison, peu avant le coucher, on entourait d’un journal une brique sortie du four ; plus tard, parurent les bouillottes ; là encore, recours à la cuisinière, en l’occurrence son bain-marie muni d’un robinet ; et, si l’eau paraissait par trop tiède, on en puisait hez nous dans une grande marmite en « alu », en permanence sur un coin de la cuisinière.

A cette époque hivernale -l’été on avait les fruits du jardin- ma mère faisait « prendre »la dominicale crème au chocolat dans son grand plat de porcelaine qui venait coiffer la fameuse marmite d’eau bouillante ; le plat lui-même « coiffé » d’un gros couvercle de cocotte en fonte sur lequel elle disposait les braises ardentes ; et… ça prenait !

Les gâteries faisaient peut-être oublier les désagréments des journées d’hiver, telles nos engelures, crevasses… surtout pour les laveuses.

 

Hiver rigoureux ou pas et en toute saison, les maillycastellois pouvaient donc déjà , bien avant guerre, être soignés sur place ; …mais, pour des soins nettement plus particuliers, surgit de mes souvenirs un personnage pittoresque qui faisait office de … « rebouteux ». Il en imposait par sa grande taille, une belle corpulence et –me semblait-il alors- un air sombre ! Il se déplaçait avec deux grandes béquilles, venant souvent sur la place. Il me faisait peur depuis que, ayant pris un « beau gadin » en tournant trop court avec un vélo d’adulte sur la place, je l’avais entendu dire à mon père : « il faudrait des pointes de feu » ; de feu ? aussi filai-je vite à la maison cacher mes genoux couronnés. Mes parents étaient sceptiques sur ce genre de profession ; cependant, pendant la guerre, il a « remboîté » une épaule de ma grand’tante tombée dans le raidillon. J’oubliais ! son nom : M. Lévesque… Ce qui le rendait plus impressionnant !  

 

Autres possibilités de trouver « chaussure à son pied » dans le village même.

 

Pas d’antiquaire certes, une modeste brocanteuse cependant, Lucienne Desserle ; passant devant la fenêtre d’une salle bien éclairée, on pouvait entrevoir un peu du bric à brac - objets d’occasions- qu’elle y avait accumulés : verroteries, services de table probablement incomplets, garnitures de table de toilette  ( c’étaient alors un grand pot posé sur une vaste cuvette, de faïence décorée ; mais aussi des quelques petits meubles d’ occasion, table de toilette, petit banc, …que sais-je ? On y jetait un regard curieux ; sans doute ses petits articles passeraient quasi inaperçus dans le déploiement des étals des vide-greniers d’aujourd’hui, étals qui s’allongent, s’allongent…de même que les files de voitures à l’entrée des villages où ils ont lieu !

Et puis, venaient à nous, périodiquement, d’autres objets de commerces : « déballages annoncés » des marchands de chaussures (il en vient encore), mais aussi de vêtements et parfois, passait dans nos maisons, un vendeur d’étoffe de belle qualité.( ce qui permettait aux femmes et à ma mère en particulier de confectionner des vêtements comme ce tissu en crêpe marocain bleu marine,  couleur obligatoire, que nous devions porter l’été,avant guerre, lors des sorties-promenades au lycée d’Auxerre et cours complémentaire des filles.

« Peaux de lapin ! Peaux », criait parfois un vendeur ou acheteur (Lucienne Desserle en avait toujours aussi à vendre)

Et toujours sur la place, s’installait le rémouleur ambulant : « couteaux, ciseaux » (repassage toujours satisfaisant).

Quant aux nomades, si certains s’installaient dans la grotte au pied de « la vieille voie neuve », d’autres, dans leur roulotte tirée par une haridelle, restaient quelques jours sur la place, confectionnant paniers et corbeilles que les femmes venaient nous proposer à domicile, ainsi qu’une incroyable variété de dentelles, voire même quelques «  images pieuses » !

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Elus et fonctionnaires

 

Ainsi, Mailly le Château bourdonnait-il du matin (réveillé par les coqs comme le fameux « chantecler » d’Edmond Rostand) au soir ; encore fallait-il l’administrer, y éduquer ses enfants…C’est pourquoi je vais évoquer plus loin…les fonctionnaires. C’est sans doute la catégorie de travailleurs la moins nombreuse à Mailly, mais stable jusqu’à ces dernières années où elle rétrécit brusquement !

Mais auparavant, place au représentant de la commune, le Maire et son conseil municipal.

Majestueuse, notre mairie avec son grand hall d’entrée, son escalier monumental en pierre blanche - avec sa rampe ouvragée – qui nos amène dans la grande salle parquetée où se tenaient alors, outre les rendez-vous municipaux, les réunions d’associations ; ainsi celle des chasseurs que redoutait particulièrement mon père : ayant lieu après dîner, elles étaient longues et fort bruyantes ; pour nous qui logions au rez-de-chaussée, avions-nous l’impression que le bruit «  qui monte », dit-on… descendait chez nous, retardant d’autant l’heure du sommeil.

 

Petit rappel anecdotique inconnu de nos nouveaux habitants…Bien plus tard, dans les années 80, en attendant que s’ouvre notre foyer communal, se tint dans la mairie le repas annuel de La Joie de Vivre, repas alors composé par notre brave boucher, monsieur Sommet.

 

J’évoquerai des maires de l’époque « 1930-50 » que j’ai bien connus.

A notre arrivée en 1930, monsieur Léon Teinturier – le grand-père de notre « Colette » et M.Delasselle.

Léon Teinturier

Il avait été longtemps instituteur à l’école de garçons ; discipline sévère avec tant de travail ; n’a-t-il pas conduit certains élèves, ai-je ouï dire, jusqu’au brevet élémentaire !

Comme instituteur, Ferdinand Morin le remplaça, puis ce fut mon père, Raoul Thibault.

Dans ces années trente, il était encore maire ; j’avais inconsciemment du respect pour cet homme très âgé, qui montait – à pieds bien sûr – du Bourg du Bas où il habitait la maison aux volets bleus qu’occupe aujourd’hui …son arrière petite fille, nouvelle conseillère, et son mari. Si aujourd’hui le canoë de Michèle est amarré au bord de l’Yonne, son aïeul possédait une barque et une périssoire qu’il m’est arrivé d’emprunter.

M.Delasselle

Je revois aussi surgir des dernières années éprouvantes de « l’occupation », la stature d’un autre maire, M. Delasselle, un cultivateur des Champs Gras, dont le fils et la fille étaient enseignants. Lui aussi était particulièrement dévoué. Il arrivait, haut perché, sur son vieux vélo qu’il apostrophait afin de le voir mieux rouler ! C’est que nos vélos aussi subissaient les restrictions : les pneus trop usagés abritaient des chambres à air constellées de rustines ; et les crevaisons étaient courantes !

En cette fin de conflit, M. Delasselle, qui habitait à l’orée de la forêt de Frétoy secourut «  à ses risques et périls » un parachutiste anglais.

Oui ! maire d’une commune est une tâche prenante qui demande bien du dévouement…tout en attirant maintes critiques. La disparition de Claude Pautot nous le rappelle tristement.

 

Les fonctionnaires

 

D’abord, le percepteur qui, finance oblige , était le mieux payé. J’en ai connu trois de 1930 à 1940. Le deuxième était un ancien croupier dont la femme nous fit la surprise de confectionner avec beaucoup de goût, des chapeaux pour une de nos fêtes de la jeunesse. La perception se trouvait alors là où habite la mère de notre boulanger.

Le receveur des Postes officiait rue du Jeu de Paume, après la maison de Mme Millereau. Pendant la guerre, mademoiselle Chancel remplissait cette fonction. Au milieu de cette noire période, elle nous prévenait quand arrivait le colis des tickets mensuels d’alimentation.

 

Permettez,à ce moment de mes souvenirs, que j’évoque le moment des rationnements :

Quel rationnement représentaient ces cartes, souvenez-vous, vous qui l’avez vécu : 50g de beurre par mois, autant d’huile, 100g de viande par semaine…tout nous était rationné : sucre, farine, vin, fromage à 0% de matières grasses…

Pour la farine, on pouvait se « débrouiller »dans le coin : un cultivateur fournissait-il un peu de blé…enfourchant le vélo, nous allions le troquer pour de la farine à la minoterie de Vincelottes, où le maître d’œuvre, Monsieur Danrée ne se contentait pas de nous servir, mais aidait aussi, à ses risques et périls, les « résistants » ! Il y avait aussi les tickets de vêtements… dont les tissus s’avérèrent de plus en plus de mauvaise qualité : tissus artificiels (le nylon apparut en France avec les toiles de parachutes). Ces tissus artificiels pouvaient réduire de moitié au premier lavage et les jeu